Dans ces petits pays où tout résiste au temps,
Tout un chacun connaît la vie de ses voisins
Mais n'en dira jamais plus que ce qu'il convient
Sauf à ce que des aveux soient remis à l'encan.
Le diocèse choisit avec soin le pasteur
L'évêque soulignant qu'entre la gent et Dieu
Il se doit de connaître le juste milieu
Pour que les égarés lui ouvrissent leur cœur.
Il était la conscience et aussi la mémoire.
Et il avait promis à l'ancienne servante,
Défunte un soir d'hiver, de garder son infante
Des malheurs et dangers dont on fait les histoires.
L'accorte jouvencelle, innocente fermière,
Gérait au fil du temps six chèvres et trois dindons
Tenait un jardinet, recevait quelques dons
Aimant l'air et le vent plus que servant la terre.
Vaquant à la campagne plus qu'allant jusqu'au bourg
Elle aimait ce parrain, oubliant son église
Aussi était-ce lui, quand il en avait guise
Qui allait à la ferme plus souvent qu'à son tour.
Peut-être savez-vous la manie des dindons
De hurler s'attroupant devant tout visiteur
Empêchant bien souvent le paisible pasteur
De franchir le portail, d'approcher la maison.
La maîtresse devait protéger le passage
Pour autant qu'elle soit dans la proximité
Puisque souvent distraite et surtout en été
Elle était en balade, naïve et toujours sage.
Sauf qu'un jour un berger, le troupeau transhumant,
S'attarda quelques jours où l'herbe était si grasse.
Il surveillait son chien que les caprins agacent
Et ramenait biquette à un piquet branlant.
Il avait vu d'en haut la ferme négligée
Et se dit qu'un beau jour il verrait la donzelle
Un peu plus à loisir puisqu'il pensait à elle
Lorsque le soir tombait sur la paix retrouvée.
Il décida bientôt de ramener la chèvre
Jusqu'à l'enclos ouvert qu'il faudrait réparer.
Ce qu'il fit, disons-le, pour pouvoir s'attarder
Les mains tremblant un peu, comme agitées de fièvre.
Enfin elle arriva, feignant de n'avoir vu
Ce curieux qu'elle avait déjà bien surveillé.
Elle franchit le seuil et l'espace ombragé,
Collant la jalousie dont l'huis était pourvu.
La clôture tenant, et n'ayant plus de rôle,
Le pâtre décida d'aller vers la maison ;
Sitôt franchi le coin gloussaient les trois dindons,
Altiers et pérorant, vrais gardiens agricoles.
Le pâtre s'adossa et sortit de sa poche
Un morceau de roseau qu'il creusa du couteau
Finissant d'y œuvrer un modeste pipeau
Un œil restant ouvert quant au danger si proche.
Après quelques essais de notes aigrelettes,
Il souffla lentement une mélopée douce.
Les gallines obtuses qu'un rien pourtant courrouce
Incurvaient peu à peu et le cou et la tête.
Comment diable fit-il pour les avoir conquises
Songeait de son côté la jeunette troublée ?
Le pâtre qui toquait la porte entrebaillée
N'osait pourtant déjà la trouver si éprise.
L'histoire ne dit pas ce qu'il advint ensuite
Sauf que l'on entendit hurler la basse-cour
Assidue à ses peurs, ignorante d'amour.
Le prêtre, une autre fois, fut contraint à la fuite.
Il arrivait souvent qu'il gravît la colline
Sans même l'avoir vue. S'en retournant déçu
Jusqu'à son ministère il passait en revue
Ce qui restait à faire ou priait en sourdine.
L'accompagnaient encore les cris de la volaille
Dont les cous turgescents dénonçaient au prélat
La nature du mal qu'il souffrît d'être là.
Stupides volatiles pour qui tout est chamaille !
Filleule un peu contrite, heureuse mais peinée,
L'apprentie paysanne se dit le lendemain
Qu'elle fêterait Noël auprès de son parrain
Espérant qu'un cadeau lui viendrait à l'idée.
Elle tint sa promesse au soir du réveillon,
Ravissant l'homme pieux en venant à l'église.
Elle croyait un peu qu'elle s'était promise,
Mais à quoi, mais à qui, mais à juste raison.
Le cadeau de la fête était pour le festin :
La volaille parée en guise de chapon
N'était que le plus gras de ses quelques dindons.
Son esprit resta pur d'ironie du destin.
En paix, repu et calme, le prêtre se confiait
Et il osa lui dire l'impression qui le prit
Lorsque fermant l'église et regardant Marie,
Il crut que la Madone lentement souriait.